Comment le Nutri-score s’impose en supermarché
Pepsi et Kellog’s, longtemps réticents, viennent de l’adopter et il va proliférer cette année sur les emballages de nos produits : le Nutri-Score, dispositif de notation des aliments, bouscule les grands groupes et fait l’objet d’un lobbying intense. Enquête sur les apports et les limites de cet outil pour les industriels et les consommateurs.
Au rayon charcuterie du Carrefour Market de Pibrac, en banlieue toulousaine, Delphine tient une salade composée dans chaque main. La quadragénaire scrute rapidement les emballages, puis repose l’un d’entre eux. Le Nutri-Score a motivé son choix : « J’ai choisi celle qui avait la meilleure note ».
Le Nutri-Score, c’est ce logo qui a fait son apparition sur les emballages de certains de nos produits en grande surface. Il note leur qualité nutritionnelle de A en vert foncé à E en rouge vif. Les marques l’apposent sur leurs produits de manière facultative, conformément à une loi adoptée en octobre 2017.
La France, par la voix de son gouvernement, cherche à l’imposer au niveau européen, contre l’avis de l’Italie. La Belgique, l’Espagne, les Pays-Bas, et même récemment l’Allemagne, longtemps réticente, l’ont adopté. Car ce dispositif, pensé scientifiquement, est efficace et répond à un besoin des consommateurs, même s’il est imparfait.
Un indicateur validé scientifiquement
Le Nutri-Score a été développé par une équipe de chercheurs de l’Université Paris 13. Ils se sont appuyés sur les travaux de la Food Standard Agency britannique (appelé score FSA). La note est établie à partir des valeurs nutritionnelles du produit pour 100 grammes. La richesse en acides gras saturés, en sucres, en sel, dont il est recommandé de limiter la consommation, et la teneur en calories pénalisent le produit. Au contraire, de fortes teneurs en fibres, en protéines, et en fruits et légumes, dont la consommation est conseillée, donnent des bons points. Un tableau associe les scores à une lettre entre A à E.
Des études consommateurs ont également démontré que le Nutri-Score était un indicateur particulièrement efficace pour influencer le choix des consommateurs, particulièrement les moins aisés. Une étude de l’institut Nielsen montre qu’en France les ventes de produits étiquetés A et B ont progressé en 2019 par rapport à 2018, tandis que celles de produits classés C et D ont régressé. Par contre, les ventes des produits classés E ont elles aussi augmenté.
Pour l’instant, le logo est présent sur un nombre restreint d’emballages. Mais Auchan, Leclerc, Intermarché, et dernièrement Carrefour se sont engagés à le faire apparaître sur tous leurs produits d’ici un an. Et avec eux beaucoup de marques, y compris des grands industriels comme Fleury-Michon, l’un des premiers à l’avoir affiché. « Les consommateurs veulent de la transparence » explique David Garbous, son directeur marketing.
89 % des Français jugent le Nutri-Score « utile », selon une étude de Santé Publique France, l’organisme qui pilote sa mise en place. Les associations de consommateurs plébiscitent cet étiquetage nutritionnel simplifié. Alors que « 82 % des consommateurs n’arrivent pas à lire le complexe tableau d’analyse nutritionnelle obligatoire », le Nutri-Score permet de « faire comprendre en un clin d’oeil leur mauvaise qualité nutritionnelle », explique l’UFC-Que Choisir dans un communiqué.
La bataille des lobbys contre le Nutri-Score
« Entre la remise de mon rapport et l’adoption du Nutri-score se sont écoulés cinq ans de bataille contre les lobbys », expose Serge Hercberg, épidémiologiste à l’université Paris 13 et spécialiste de la nutrition. Ce rapport, remis en 2013 à la ministre des Affaires sociales et de la santé Marisol Touraine, recommande la mise en place d’un « système d’information nutritionnelle unique sur la face avant des emballages des aliments ».
L’apposition de ce logo ne peut toutefois pas être rendue obligatoire. La réglementation européenne sur la libre concurrence l’empêche. Pour contourner cette difficulté et forcer un peu plus les marques à afficher le Nutri-Score, Olivier Véran, à l’époque député La République en Marche (LaREM), a proposé en juillet 2018 un amendement pour rendre son affichage obligatoire sur les publicités.
Mais le lobby des industriels, notamment par le biais de l’Association nationale des industries alimentaires (ANIA) a fait échouer l’amendement alors qu’il était au départ soutenu par le gouvernement. « Trois jours avant le vote de la loi, les patrons de tous les grandes groupes audiovisuels, excepté NextradioTV, ont transmis au gouvernement un courrier demandant l’abandon de l’amendement après que les industriels les ont menacés de cesser d’acheter de l’espace publicitaire sur leurs chaînes, détaille un membre du cabinet du député Olivier Véran. On a perdu le soutien des députés de la majorité lors du vote. Ils ont visiblement reçu des consignes de vote sur leur portable ».
Les géants de l’agro-alimentaire réfractaires au Nutri-Score ont longtemps défendu un affichage nutritionnel concurrent, l’Evolved Nutrition Label (ENL). Beaucoup l’ont aujourd’hui abandonné, mais pas Coca-Cola, qui l’affiche encore sur ses bouteilles. Ce logo se décompose en quatre catégories : sel, sucre, matières grasses, matières grasses saturées. Le produit se voit assigner une couleur pour chacune : vert, orange ou rouge. Résultat : sur les bouteilles de Coca-Cola par exemple, seul le voyant « sucre » est rouge. Les autres sont verts parce qu’ils sont nuls, ce qui brouille le message nutritionnel général adressé aux consommateurs.
« Notre intérêt est que l’information soit claire et lisible pour les consommateurs, Le système ENL, pionnier des systèmes d’information simplifié, remplissait parfaitement ces objectifs lorsqu’il a été lancé au Royaume Uni et que nous l’avons soutenu » défend Marine Carrié, brand manager chez Coca-Cola France, qui précise que les évolutions de la réglementation européenne quant aux systèmes d’affichage nutritionnels pourraient faire changer Coca-Cola d’avis.
« Que le logo dérange est un bon signe »
Comme Coca-Cola, d’autres grands groupes industriels font toujours de la résistance, notamment Ferrero, Unilever et Kraft. « Ferrero fait en coulisse une forte pression contre le Nutri-Score et est soutenu par gouvernement italien », argumente l’eurodéputée Europe Écologie-Les Verts Michèle Rivasi. « Que le logo dérange est un bon signe, poursuit-elle. Ces marques n’ont pas envie de voir un mauvais Nutri-Score apposé sur leurs produits souvent riches en sucres et acides gras saturés ». Le Nutella, les Mars, les Snickers et le Coca-Cola seraient par exemple tous notés E.
Mais aujourd’hui, trois mastodontes de l’industrie agro-alimentaires qui défendaient auparavant l’Evolved Nutrition Label se sont rangés derrière le Nutri-Score. Pepsico a annoncé jeudi 13 février qu’il va déployer le Nutri-Score sur 350 de ses références d’ici 2021. Kellogg France l’avait précédé le 22 janvier dernier.
Nestlé a été le premier à faire marche arrière et s’est engagé en faveur du Nutri-Score en juin 2019. « Comme il devient aujourd’hui le système de référence, ne pas l’afficher, c’était susciter la suspicion des consommateurs et nuire à notre image de marque », explique Jérôme François, directeur marketing de Nestlé France. Ce ralliement progressif des industriels et des distributeurs au Nutri-Score, et ce dans plusieurs pays européens, rend le dispositif plus efficace. Plus le label sera apposé sur un nombre important de produits, plus il sera connu et utilisé par les consommateurs.
L’indicateur encourage également les industriels à modifier la composition de leurs produits pour obtenir une meilleure note en les rendant plus sains. « Ça nous incite améliorer nos recettes, surtout quand on est proche d’un seuil, explique David Garbous, le directeur marketing de Fleury Michon. Par exemple, on a augmenté la teneur en chair de poisson de notre surimi pour obtenir un B ». Kellogg se targe d’avoir fait diminué la teneur en sucre simple de ses Coco Pops de 50 %.
Et les additifs ?
Toutefois, certains résultats affichés par le Nutri-Score posent question. Par exemple, le sandwich au poulet rôti de la marque Daunat est noté B malgré ses douze additifs, alors qu’une boîte de sardines issues de la pêche raisonnable à l’huile d’olive bio de la conserverie bretonne Phare d’Eckmühl n’obtient qu’un C. « L’esprit du Nutri-Score, ce n’est pas de comparer des produits différents, mais des produits équivalents entre eux, rétorque le Pr Serge Hercberg. Pour aider par exemple à acheter des céréales du petit-déjeuner moins sucrées ». Les sardines restent toutefois moins bien notées que des bâtons de surimi Fleury-Michon, un produit ultra-transformé.
Le problème majeur du Nutri-Score est de ne pas prendre en compte la présence d’additifs, c’est-à-dire de substances ajoutées aux aliments industriels pour en améliorer la saveur, la texture ou l’apparence. « C’est une limite assumée, avoue le Pr Hercberg. Le Nutri-Score ne couvre que les valeurs nutritionnelles. il n’existe pas suffisamment de preuves scientifiques pour caractériser la nocivité des additifs à certains seuils et pouvoir les intégrer à un système de notation de manière fiable. Nous désirions un indice scientifiquement inattaquable ».
Cette limite amène certains consommateurs à se détourner du Nutri-Score. « Je privilégie Yuka, qui prend en compte les additifs », explique Dominique au Carrefour Market de Pibrac. Téléchargée plus de treize millions de fois en France, cela signifie qu’un utilisateur de smartphone sur trois la possède, et ses utilisateurs réduisent donc effectivement leur consommation d’additifs. Mais n’existe pas suffisamment de preuves scientifiques pour caractériser la nocivité des additifs à certains seuils et pouvoir les intégrer à un système de notation de manière fiable pour les consommateurs comme le fait Yuka », poursuit le Pr Hercberg.
« Pour être pleinement efficace, le Nutri-Score doit aussi s’accompagner d’une vraie éducation à l’alimentation, notamment au niveau scolaire », argumente Cendra Motin, députée LaREM de l’Isère. De ce point de vue, un plan de communication d’envergure autour du Nutri-Score, est prévu cette année, pour augmenter sa notoriété et expliquer son intérêt. Une étape supplémentaire sur le chemin de changements durables dans les comportements alimentaires de français.