« La nourriture en poudre ne peut pas être une alternative durable »
Les repas en poudre de la marque Feed ont débarqué dans les rayons des supermarchés. La marque de « smart-food » promet un repas équilibré, rapide à ingurgiter. Révolution salutaire qui optimise l’emploi du temps pour les uns, sacrilège culinaire pour les autres, le chercheur Anthony Fardet répond aux questions de Bouffe.
Déjeuner en trois gorgées devant son ordinateur, en quelques lampées sur la route qui mène à sa réunion : voilà la promesse de la start-up Feed. La marque propose des bouteilles remplies au tiers de poudre, qui contiennent de quoi assurer ses besoins en nutriments pour le repas, promet l’entreprise. Et ce, quelque soit votre activité : « Chill », « journée chargée », « après le sport »… Les recettes s’adaptent à toutes les situations du quotidien.
Pour Anthony Fardet, chercheur en alimentation préventive et holistique, ces produits ne peuvent pas présenter une alternative aux repas traditionnels. Selon l’auteur de l’ouvrage Halte aux aliments ultra-transformés, le repas en poudre n’est pas bon pour la santé, et porte un système de valeurs délétères, où le gain de temps prime sur le lien social.
Bouffe : La nourriture en poudre ou la nourriture normale, c’est pareil ?
Anthony Fardet – Les repas en poudre disent apporter tous les nutriments nécessaires. Ce type de repas est le fruit de ce qu’on appelle la pensée « réductionniste ». Le réductionnisme, c’est penser un aliment uniquement comme un agrégat de nutriments : des vitamines, des protéines, des glucides… Le problème, c’est qu’un aliment n’est pas la somme de ses composants. Cette approche omet une dimension fondamentale en nutrition : les interactions entre les composantes de l’aliment. Ce qu’on appelle la « matrice », c’est-à-dire la structure de l’aliment, joue un rôle capital. C’est cette structure qui détermine si l’aliment est bon, ou non, pour la santé, bien plus que les nutriments en eux-mêmes. Une amande entière n’a pas la même valeur qu’une amande broyée. Pour vous donner une comparaison, c’est comme si on proposait une maison en gravas, plutôt qu’une maison construite. Ce sont les mêmes composants, mais dans l’une d’elle, on ne peut pas habiter.
« Un aliment n’est pas la somme de ses composants »
Anthony Fardet
Donc Feed, c’est mauvais pour la santé ?
En manger une fois par semaine, pour dépanner, pourquoi pas. Mais la « matrice » n’est pas conservée, ça ne peut donc pas être une alternative durable.
Par ailleurs, il y a d’autres problèmes. Le premier est que la plupart de ces produits en poudre sont des produits ultra-transformés. Un aliment ultra-transformé est un aliment dont on a artificialisé la couleur, l’arôme, le goût et/ou la texture. Ces aliments ultra-transformés sont associés à des risques accrus de diverses maladies chroniques, notamment obésité et diabète. Ces produits peuvent avoir leur utilité, une fois de temps en temps. Le problème, c’est qu’ils deviennent de plus en plus la norme.
L’autre souci, c’est que les aliments en poudre ne se mâchent pas. Or, la mastication est une étape indispensable, elle stimule les hormones de satiété. Si on ne mâche pas, on sera moins rassasié, et on prendra davantage de calories.
« Si on ne mâche pas, on sera moins rassasié, et on prendra davantage de calories »
Anthony Fardet
Vous apportez beaucoup d’importance au repas, en tant que moment. Pourquoi ?
L’action de manger est multidimensionnelle : c’est le vivre ensemble, la tradition, le temps long. Le repas en poudre répond à la seule volonté de gagner du temps. C’est une conception très anglo-saxonne du repas qui tend souvent à concevoir le repas comme une une perte de temps et donc, de profit. Si on peut déjeuner en marchant ou devant son ordinateur, dans une conception néo-libérale, c’est en quelque sorte du temps de gagné et… du profit en plus.
En tant que chercheur, il est important de prendre en compte ces dimensions extra-scientifiques, à savoir la dimension éthique. On connaît la phrase de Rabelais, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Quand on parle d’alimentation, on ne peut pas occulter la dimension sociale.