Demain,  La pénurie

Fiction : Le chocolat se barre

Chaque jour, nous imaginons l’avenir de nos assiettes à l’horizon 2050. Comment réagirions-nous face à la pénurie ? C’est ce que Bouffe a imaginé.

Le dérèglement climatique va-t-il nous priver de chocolat ? C’est une éventualité, à l’horizon 2050. Si vous êtes dévastés, rassurez-vous, vous n’êtes pas seul. Mais, surtout, vous avez encore un peu de marge. Ce n’est pas le cas de tous. Stanislas, jeune Suisse de la banlieue de Sion, n’a pas cette chance. Pâques ne sera plus jamais comme avant. 

C’était la première fois

11h17. Stanislas se lève, ouvre les volets en ce mois d’avril 2050. Comme tous les matins, il prend quelques instants pour admirer les hauteurs enneigées du Mont Cervin, au loin. A l’étage d’en bas, il entend l’effervescence. Le couvert est bruyamment dressé par son père. Assiettes, couverts, verres. Et la touche finale en ce jour particulier : le vase rempli de branches de noisetiers, qui trône au centre de la tablée. Une dizaine d’oeufs en plastique – grossièrement peints de toutes les couleurs – pendent.

En descendant l’escalier qui relie les chambres à la salle de vie, Stanislas hume une odeur : c’est celle de l’agneau pascal, mijoté depuis la première heure ce matin. La table se dessine à travers la rambarde. Six places, six chaises. Pas de doute, tout ressemble au repas de Pâques. Mais un invité manque à l’appel : celui qu’il avait tant espéré voir ne sera plus là.

Cette année, Pâques ne sera pas comme avant. Il l’a compris. Cette année, Pâques ne sera pas gourmand. Les bras lui en tombent. Cette année, Pâques sera sans chocolat. « Impossible d’en trouver pour cette fois, désolée mon chéri… », lui lance sa mère. 

C’était donc vrai

Stan, douze ans, avait vaguement entendu parler de la pénurie annoncée. Sans jamais trop y croire. Il est chamboulé par ce Pâques sans chocolat, au moins aussi traumatisant qu’un Noël sans cadeaux. Cet accro au choco se rue dans sa chambre, ouvre son sac à dos. Dans son livre d’histoire-géographie, à la page Climat, il relit ce que disaient les experts en 2018 : « A cause du dérèglement climatique, qui menace le thermomètre d’augmenter de deux degrés, les cacaotiers ne pourront pas survivre. Si rien n’est fait, il y aura un risque de pénurie de chocolat. » Rien n’a été fait. A l’époque, plus de 200 000 tonnes étaient mangées sur la planète chaque année, et la consommation a doublé en même temps que la population. 

La chaleur extrême a pris le pas sur l’humidité et les pluies nécessaires au bon développement des arbres. Asphyxiés, la Côte d’Ivoire et le Ghana – qui représentent 70 % des productions – n’ont pas pu fournir suffisamment de cacao pour la planète. Au point de ne pas parvenir à livrer la Suisse, pays emblématique de l’or brun. Le mois dernier, la célébrissime marque Lindt a été contrainte de mettre la clé sous la porte. Même les imprimantes alimentaires en 3D, fabriquées à l’époque pour palier la pénurie naissante, ne sont plus approvisionnées.

C’était l’alternative

Meurtri par l’épisode de Pâques 2050, Stanislas s’est peu à peu habitué à ne plus voir de lapin doré posé à côté de son assiette. Six ans ont passé, et aucune alternative n’a été trouvée en Europe. Depuis ses douze ans, il s’est promis de partir – loin – et de redonner à Pâques ses lettres de noblesse. Tous les soirs, le jeune Suisse s’astreint à des heures de recherches avec ses lunettes connectées. Le jour de ses 18 ans, il prend la direction de l’aéroport. 

10h19. Vol pour l’Asie et le sud du Bangladesh, où la pénurie du chocolat aurait trouvé sa parade depuis quelques mois. Une fois sur place, Stan se rend dans l’exploitation tenue par Rifah, avec qui il converse depuis plusieurs mois sur Instagram. Face à lui, de longs arbres se dressent, c’est le Jacquier. Au bout des branches pendent d’énormes boules vertes rugueuses, c’est le fruit du Jacquier. Il est là, son lapin de Pâques. « Le chocolat du futur est vert ! », lui lance l’agriculteur. A premier abord, ça n’a ni l’aspect, ni la texture de la fève de cacao. Et pourtant… « On sèche puis transforme ces graines en farine, et ça donne un goût qui se rapproche du chocolat de notre enfance », poursuit Rifah. Le startuper agriculteur finit par lui tendre un carreau. Gris, rugueux, mais terriblement appétissant. Le Suisse s’en saisit. Avant de le croquer, il savoure d’avance. Six années que ses papilles n’avaient pas été titillées par du chocolat. 

Le fruit du Jacquier

C’était le lièvre

« Comment expliquer que personne, en Europe, ne soit parvenu à importer le fruit du jacquier ? », s’étonne Stanislas. Les deux amis sont assis dans les chaises en rotin, sirotant un chocolat chaud sur la terrasse de l’exploitation. « Le climat européen était à l’origine incompatible avec la culture du jacquier, explique Rifah. Mais le dérèglement climatique a changé la donne. » Depuis les multiples épidémies de coronavirus débutées dans les années 20, causant la mort de milliers de personnes, les exports restent interdits. Les pays européens se sont un à un ralliés à la « Doctrine Trump » du protectionnisme. Mais le jeune homme est prêt à tout. Même à transgresser la loi. Rifah, touché par l’abnégation du jeune homme, lui glisse quatre graines de Jacquier dans la poche. 

Contrôles au départ : ça passe. A l’arrivée : ça passe aussi. Le Jacquier est en Europe. Et tout cela n’a rien d’un nom de code. Stanislas se précipite dans son jardin, creuse quatre trous. Les graines sont minutieusement déposées, recouvertes, arrosées. Chaque motte de terre est surplombée d’un petit écriteau : « Ici pousse Pâques ». En bon lièvre, Stan s’est promis de couver son trésor à chaque instant. Dans quinze ans, Pâques aura retrouvé le goût d’antan. En Suisse.