Fiction : le dernier sushi
Chaque jour, nous imaginons l’avenir de nos assiettes à l’horizon 2050. Comment réagirions-nous face à la pénurie ? C’est ce que Bouffe a imaginé.
En 2050, il ne reste plus que 1500 thons sur la planète. L’espèce a été décimée à cause du réchauffement climatique et de la surpêche. Sans thon, difficile de faire des sushis. Le dernier sushi au thon est donc vendu à Paris le 8 mai 2050, lors d’une vente aux enchères.
Et qui dit fiction, dit bande-annonce.
Je suis là, posé sur une planche. À ma droite, une noisette de wasabi. Moi, je suis le dernier sushi au thon. Et je vais être vendu aux enchères. À l’hôtel Drouot à Paris, plus de cinq cents personnes sont venues pour m’acheter. Riches hommes d’affaires, collectionneurs, les invités ont été triés sur le volet. Tout ce gratin est là pour moi. Moi, le dernier bout de thon destiné à l’alimentation.
La commissaire priseur, une cinquantenaire à petites lunettes, prend la parole : « Bonjour à tous, Nous sommes tous rassemblés pour une grande occasion. Aujourd’hui, mesdames et messieurs, nous allons vendre le dernier sushi au thon de la planète. L’objet que nous avons sous les yeux est d’une rareté extrême. Avec le dérèglement du climat que nous vivons, l’eau des océans est devenue plus acide. Les coraux ont donc été décimés depuis cinquante ans, ce qui a pénalisé directement l’ensemble de la chaîne alimentaire marine, y compris le thon. En plus de cela, la surpêche du XXe et XXIe siècle n’a rien arrangé, mais je vais laisser le président du GIEC en parler. »
« Nous allons vendre le dernier sushi au thon de la planète »
L’expert se saisit d’une télécommande et active l’hologramme de la salle de vente. William Cheung apparaît. Il est à la tête du GIEC, le Groupe d’experts intergouvernementaux sur l’évolution du climat. L’organisme qui siège au Conseil de sécurité de l’ONU depuis la COP38. Cet ancien chercheur de l’Université de Colombie Britannique est le premier à avoir alerté, dès les années Vingt, sur la fin des sushis au thon. Il revient pour les potentiels acheteurs sur les quotas de pêches, passés de 32 000 tonnes en 2010, à 36 000 tonnes en 2020, puis à 45 000 tonnes en 2030. La population de thons rouges, qui a fondu de 95% entre 1950 et 2020, est aujourd’hui réduite à 1500 thons.
C’est pour les protéger qu’il est aujourd’hui interdit d’en déguster. Qui aurait pu penser que moi, petite boule de riz vinaigré agrémentée de poisson, j’allais devenir un trésor convoité ?
Les sushis n’ont pas disparu pour autant. Mais aujourd’hui tous mes semblables sont composés de surimi, de maquereaux, de carpes … Ils sont moches, contrairement à moi, mais ils sont là et continuent à ravir les papilles de dix milliards d’êtres humains. Dans la lignée du fameux chef américain Bun Lai, qui a développé le sushi durable dès 2005, des milliers de restaurateurs ont arrêté de produire des sushis au thon et au saumon.
Moi, l’unique et ultime sushi au thon, je m’apprête donc à être acheté et dégusté. La vente démarre. Je suis juste à côté du marteau du commissaire priseur. L’enchère de base est de 10 000 €. Un Saoudien propose 20 000€, puis les sommes s’emballent. 50 000. 80 000. On monte à 110 000€. La chaleur des projecteurs commence à faire suer le morceau de poisson que j’ai sur le crâne. La commissaire, elle aussi, est tendue. Les yeux écarquillés, elle manie son marteau de façon frénétique. 110 000€ pour un sushi. Personne ne semble vouloir monter plus haut. La commissaire brandit son marteau pour adjuger la vente. Elle veut frapper fort mais … Sphaaash. Écrasé. Ma vie est finie. Je ne suis plus que bouillie.