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« La viande in vitro, ce n’est pas pour tout de suite »

Conçue en laboratoire à base de cellules souches, la viande artificielle ne permettra pas de nourrir la planète à court terme, selon le chercheur Daniel Tomé.

Manger de la viande sans viande, est-ce possible ? Oui, mais pour l’instant uniquement en laboratoire. Le premier steak artificiel a été présenté en 2013 par un professeur néerlandais. Depuis, laboratoires de recherche et start-up se sont emparés du filon. Professeur à AgroParisTech, directeur de l’unité Physiologie de la nutrition et comportement alimentaire, Daniel Tomé a étudié les questions soulevées par la viande de laboratoire. Il loue les prouesses biologiques qu’une telle innovation implique mais nuance son arrivée prochaine dans les rayons. 

Concrètement, c’est quoi la viande de laboratoire ? 

Daniel Tomé. – Elle est formée à partir d’une culture de cellules souches prélevées sur un animal. Puis, on leur impose des conditions de développement en laboratoire pour qu’elles se transforment en cellules musculaires. On récupère souvent du sérum de veau foetal (ndlr : sang du fœtus de la vache). Il représente l’essentiel du coût pour produire de la viande artificielle. À ce sérum, les scientifiques ajoutent du glucose, des acides aminés, des minéraux, des acides gras et des produits pour contrôler les hormones. Il faut ensuite un peu plus d’un mois pour créer de la viande. 

De la viande artificielle dans nos assiettes, c’est la solution miracle de demain ? 

C’est prématuré de l’affirmer. Pour l’heure, c’est impossible d’envisager une production à l’échelle mondiale. D’une part, ça poserait un problème éthique : on cherche aujourd’hui à tuer moins d’animaux, mais envisager le développement de la viande artificielle nécessiterait de prélever davantage de cellules souches. Or, cela induirait qu’on abatte énormément de vaches pour récupérer le sérum foetal. Ensuite, cette culture coûte extrêmement chère (ndlr : le premier steak, produit en 2013, a couté 250 000 euros selon L’Humanité) et ne reste qu’expérimentale. 

On questionne aussi l’impact écologique de ces cultures à très grande échelle (ndlr : selon une étude d’Oxford en 2019, la viande cultivée en laboratoire serait encore plus polluante). 

Les consommateurs vont-ils accepter de manger de la viande fabriquée in vitro

Les comportements alimentaires normés sont une autre entrave à son développement. On veut remplacer la viande… En créant de la viande parce qu’il y a cette idée qu’elle est irremplaçable, qu’on ne peut pas s’en passer. Or, on pourrait se tourner vers des protéines végétales. En plus, à partir du moment où on manipule des cellules, il y a le risque que se développe des agents pathogènes indésirables. Bref, c’est une très belle prouesse biologique, très excitante, mais divers obstacles laissent à penser que la viande in vitro dans nos assiettes, ce n’est pas pour tout de suite.

Manger de la viande, c’est un plaisir. Est-ce qu’on en prendra autant quand elle sortira du labo ?

La viande in vitro, c’est la reproduction d’un amas de fibres musculaires. On se rapproche d’une viande naturelle. Mais l’aspect, le comportement de la viande dans la bouche, l’odeur, le goût, la rupture des fibres musculaires sous les dents… Ce sont des sensations très difficiles à retrouver. Tout ceci peut évidemment être amené à évoluer au fil du temps et des cultures. Mais encore une fois, tout ça est lié au fait que nous sommes conditionnés à aimer la viande.